S. Boussion u.a.: L’Internationale des républiques d’enfants

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Titel
L’Internationale des républiques d’enfants, 1939–195.


Autor(en)
Boussion, Samuel; Gardet, Mathias; Ruchat, Martine
Erschienen
Paris 2020: Anamosa
Anzahl Seiten
479 S.
von
Aurore Müller, Département d'Histoire contemporaine, Université de Fribourg

L’Internationale des républiques d’enfants est le résultat d’une découverte réalisée par l’autrice et les auteurs lors de leurs recherches sur l’enfance dite «irrégulière»: «la mise en place, pendant la Seconde Guerre mondiale, de communautés pédagogiques exceptionnelles créées pour accueillir de façon temporaire des enfants orphelins ou se retrouvant du fait du conflit brutalement séparés et pour un temps indéterminé de leurs parents et donc sans foyer. Ces communautés s’appellent pour certaines «Républiques d’enfants» et fonctionnent sous la forme d’un self-government: les enfants administrent eux-mêmes leur communauté en élisant un gouvernement, une police, un tribunal ou encore en créant une banque et une monnaie intérieure. Cet apprentissage de l’autonomie et de la citoyenneté est encadré par des éducatrices et des éducateurs censés intervenir le moins possible.

Entre 1945 et 1955, il existe en Europe plus d’une centaine d’initiatives de ce genre, si bien que l’UNESCO convoque, du 5 au 10 juillet 1948, l’ensemble des directions des communautés d’enfants pour une conférence au village Pestalozzi. Quatorze directrices et directeurs, onze experts et douze observateurs se retrouvent ainsi en Suisse, à Trogen. À l’issue de la rencontre est créée une Fédération internationale des communautés d’enfants (FICE), dont l’objectif est de promouvoir l’idée pédagogique des républiques d’enfants et de favoriser des contacts internationaux entre les intervenantes et intervenants.

Richement illustré, l’ouvrage est structuré grâce à des résumés de chaque chapitre, lesquels sont complétés par de courtes biographies des actrices et acteurs rencontrés dans les pages suivantes. Dans le but d’écrire une histoire la plus narrative possible, l’autrice et les auteurs ont pris le parti de présenter les documents d’archive utilisés en toute fin d’ouvrage. En complément du volume, un carnet de recherche sur hypothèses.org a été créé1. Celui-ci propose plusieurs rubriques correspondant à chaque chapitre et présentant les parcours des actrices et acteurs principaux, certaines archives desquelles sont tirées les principales citations, ainsi que des iconographies inédites. Cette présentation originale permet à la lectrice et au lecteur de s’orienter facilement à travers le vaste réseau international des communautés d’enfants et d’avoir une excellente vue d’ensemble du travail de recherche accompli.

C’est autour de la conférence de Trogen que s’articule ce volume proposé par Samuel Boussion, Mathias Gardet et Martine Ruchat. Le récit se déroule en trois temps: il décrit et analyse les événements ayant eu lieu avant, durant et après la conférence de juillet 1948.

Les chapitres 1 à 6 illustrent la fondation et le développement de quelques communautés d’enfants exemplaires qui seront le pilier de la future FICE. Les autrices et auteurs ont suivi la trace des actrices et acteurs présents ou représentés à Trogen en amont de la conférence. Les archives de ces expériences ont été répertoriées à travers toute l’Europe et les communautés les plus exemplaires sont mises en avant dans les chapitre concernés (Moulin-Vieux en Isère, Pestalozzi à Trogen, Repubblica dei Ragazzi, Scuola-Città de Florence). Si ces quelques expériences ne reflètent pas l’ensemble de la diversité des initiatives, l’autrice et les auteurs soulignent qu’elles en montrent très bien l’impulsion humanitaire et les valeurs pédagogiques. Ces archives montrent également que les protagonistes impliqués, bien que partageant en apparence la même grande cause du devoir de réparation envers les enfants victimes de la guerre, composent un réseau socialement et idéologiquement très diversifié.

L’intensité des débats ayant eu lieu durant la conférence de Trogen est restituée dans les chapitres 7 et 8 de l’ouvrage. Le déroulement des journées du 5 au 10 juillet 1948 est explicité grâce aux archives de l’UNESCO, complétées par celles de certains participants et participantes à la rencontre. Les rapports, comptes rendus de mission, télégrammes, etc. ont été dépouillés à cette fin. Grâce à ces documents, la chercheuse et les chercheurs ont pu établir une cartographie des républiques d’enfants et montrer la pluralité des conceptions du placement et de l’accueil mises en place par les différentes communautés. Les limites du modèle et sa portée sont également discutées, ainsi que la mise en pratique effective du self-government et les tensions entre compréhension internationale et contraintes matérielles et pédagogiques.

Enfin, les chapitres 9 à 12 mettent en évidence le déclin des républiques d’enfants en aval de la conférence de Trogen. Si différentes rencontres internationales sont organisées par la FICE, celle-ci doit affronter des difficultés liées à la politique de la chaise vide des pays de l’Est et faire face aux controverses l’accusant de communisme. Les tensions politiques des années 1950 entraineront certains pays à rapatrier leurs jeunes ressortissants, ceux-ci étant pris en otage de la guerre froide. Les enfants victimes de la guerre ayant grandi, la FICE est finalement contrainte de faire face aux mutations des publics cibles accueillis; se pose alors la question de savoir si le principe pédagogique de la communauté d’enfants est transposable à l’enfance inadaptée. Le risque encouru serait alors que «la définition initiale des communautés d’enfants [se réduise] à portion congrue, ne laissant place qu’à une formule traditionnelle d’accueil familial en villages mais dont toute forme de participation des enfants est laissée de côté» (p. 405).

Tout au long du récit, l’autrice et les auteurs questionnent deux types de logiques et leurs interactions: l’humanitaire et le pédagogique, «selon l’alchimie du lien traditionnel entre charité, philanthropie et éducation» (p. 19). Ils ont ainsi habilement éclairé tout un pan de l’histoire de l’éducation encore méconnu jusqu’à ce jour et mené une réflexion sur la prise en charge des enfants réfugiés, tant en termes d’éducation dans le pays d’accueil et dans le pays d’origine, que de préservation de leur identité nationale.

1 www.repenf.hypotheses.org (5. 5. 2021).

Zitierweise:
Müller, Aurore: Rezension zu: Boussion, Samuel; Gardet, Mathias; Ruchat, Martine: L’Internationale des républiques d’enfants, 1939–1955, Paris 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (1), 2022, S. 174-176. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00102>.

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